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Le tour d’abandon de l’hôpital d’Orléans

Le tour d’abandon de l’hôpital d’Orléans, an 3 (1794) -1857.

Entre l’an 3 et le premier février 1857, date de sa fermeture, plus de 13 000 enfants furent exposés dans le tour d’abandon de l’hôpital d’Orléans. Le tour était un élément central du dispositif d’accueil des enfants abandonnés dans l’organisation prévue par le décret impérial du 19 janvier 1811. Après avoir replacé ce lieu dans un cadre plus général, nous présenterons les rares éléments dont nous disposons pour celui d’Orléans puis nous évoquerons la procédure mise en place pour le remplacer.

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Quelques éléments sur l’histoire des tours.

L’origine des tours se trouve en Italie. C’est sous le pontificat de Sixte IV (1471-1484) que ce mode de recueillement des enfants trouvés et abandonnés commence à se développer. Le premier « ruote di trovatelli » (roue pour enfants trouvés) fut installé à Rome lorsque ce pape décida de rétablir l’hôpital chargé d’accueillir les enfants abandonnés créé à l’initiative d’Innocent III au Moyen-âge. Si le système du tour se répandit en Italie, pour Léon Lallemand, leur existence en France jusqu’au décret de 1811 fut exceptionnelle. [1]

Le décret du 19 janvier 1811 : l’officialisation des tours.

Le décret impérial du 19 janvier 1811 institua le système des tours comme on peut le lire dans l’article 3 « Dans chaque hospice destiné à recevoir des enfans trouvés, il y aura un tour, où ils devront être déposés. » Leur création avait pour but d’éviter les infanticides et les dépôts sur la voie publique, aux portes des églises ou d’autres endroits fréquentés avec tous les risques que cela présentait pour les enfants. Ce dispositif connu un développement rapide[2] avant de connaître un reflux dès le début des années 1820.[3]

A partir de 1830, des débats eurent lieu, opposant les défenseurs de ce système qui y voyaient un acte de charité chrétienne et ses détracteurs qui, du fait de l’anonymat, pensaient favoriser le vice, les naissances illégitimes, la prostitution et inciter à l’abandon. D’autres imaginaient que certaines mères déposaient leur enfant dans un tour, puis se faisaient embaucher à l’hospice comme nourrice et ainsi recevoir une rémunération pour s’occuper de lui.

Le tour d’abandon : principe de fonctionnement.

Le tour d’abandon était le plus souvent situé dans des lieux assez isolés, mais près des hospices. C’était un cylindre de bois dans lequel était déposé le bébé avec éventuellement des vêtements ou objets, qui tournait sur lui-même pour permettre le recueil de l’abandonné par la personne de garde prévenue par une clochette. Dans certains hospices, il s’agissait d’une pièce équipée d’un système de clochette pour avertir et de deux portes, une sur l’extérieur pour entrer déposer l’enfant dans un berceau et une autre porte à l’intérieur de l’hospice pour le recueillir après le départ de la mère.

Quelques tours subsistent en France : Rouen, Macon et dans la région Centre-Val de Loire, on peut toujours voir celui de Dreux dont nous donnons la description provenant de la base Patrimoine architectural (Mérimée). « Le tour occupe un pilier de briques du portail d’accès, entre la porte charretière et la porte piétonne. Logé dans un évidement de la maçonnerie, le tour est constitué par un demi-cylindre de bois garni d’une paillasse. Il est monté sur un pivot qui permet de le tourner vers deux guichets fermés par des volets de tôle et s’ouvrant, l’un sur la rue, l’autre sur la cour de l’établissement. » [4]

Nous ne savons rien sur le tour orléanais hormis qu’il était muni d’une sonnette.

Ancien hôtel-Dieu de Dreux: Détail du pilier abritant le tour d’abandon. (c) Ministère de la Culture (France) Direction Régionale des Affaires Culturelles du Centre-Val de Loire.

Les tours du département du Loiret.

Le décret de 1811 provoqua la création dans le Loiret de tours à l’hospice de Gien et Montargis.  [5] Celui de Gien ferma en 1832, la raison de cette décision était « d’empêcher que des enfants de la Nièvre, où toutes les crèches ont été murées excepté celle de Nevers, n’y soit déposés » augmentant ainsi les charges financières du département du Loiret.[6]Six ans plus tard, en 1838, le tour de Montargis fut fermé à son tour. Ces deux décisions provoquèrent de nombreux débats au Conseil général et de multiples plaintes de la commission administrative de l’hôpital d’Orléans confrontée à une explosion des admissions et de ce fait à des difficultés financières.

 Le tour d’abandon de l’hôpital d’Orléans.

Dans le rapport moral de 1839, présenté par la commission administrative de l’hôpital, on peut lire ; « un tour est établi depuis un temps immémorial ». [7] Cette assertion mérite quelques nuances. Tout d’abord, on peut faire remarquer que Léon Lallemand ne fait pas état d’un tour à Orléans dans ses écrits. D’autre part, il existe aux archives départementales du Loiret, une liste de 180 enfants exposés allant de 1741 à 1765. Parmi les renseignements que l’on possède sur ces derniers figure le lieu où ils furent retrouvés. Pour un grand nombre d’enfants, il s’agit de la porte de l’hôpital, pour d’autres, divers lieux dans Orléans. Il n’est nullement fait mention d’un tour. Ce document semble plaider pour l’absence de ce dispositif à cette époque. Il est possible que la formulation de la commission administrative fasse plutôt référence à l’ancienneté de l’accueil des enfants trouvés et abandonnés au sein de l’établissement. La trace la plus ancienne que nous connaissons d’accueil d’enfants abandonnés figure dans l’Extrait de l’établissement de l’aumône générale d’Orléans publié par lettres patentes par Henri II le 15 mai 1556. Dans ce document qui réglementait l’accueil des différentes catégories de pauvres, on peut lire : « quant au grand Hôtel-Dieu et hôpital d’Orléans, demeurera pour les malades et enfans exposés, comme il a este cy-devant ». [8]

Localisation du tour d’Orléans : hypothèse et certitude.

Si l’ancienneté du tour d’Orléans reste en suspens, sa première localisation est aussi inconnue et l’on doit se borner à une hypothèse. Si l’on se base sur le plan des environs de 1804 reproduit ci-dessous, on peut repérer le premier emplacement de la crèche, il serait donc légitime de penser que le tour fut situé sur la rue du Calvaire, actuelle rue Stanislas Julien, soit au niveau de la cour du berceau ou de la crèche des filles. Cette possibilité est à prendre avec beaucoup de précautions.

En 1837, la commission administrative faisait état d’un courrier du préfet du Loiret ordonnant « la translation du tour de l’hôpital général de l’endroit où il est actuellement à la porte principale de l’établissement ». [9] Cette nouvelle localisation posait quelques problèmes :  « Vous conviendrez avec nous, que tenir la crèche trop éloignée de l’endroit qui doit recevoir définitivement les enfans nouveau-nés ce serait exposer ces infortunés à l’influence de l’intempérie du tems dans toutes les saisons de l’année ; et de plus exposer le préposé chargé de les recevoir à mettre le feu dans la Maison en traversant les cours avec de la lumière pendant la nuit . »[10]La lettre faisait ensuite allusion au projet de déplacement du service des enfants trouvés et abandonnés. La nouvelle localisation du tour était, fort logiquement conditionnée, à celle de la crèche.

Ce mouvement eut lieu en 1839, les bâtiments occupés par les enfants devant être dévolus au service des aliénés, la crèche fut transférée dans les magasins se trouvant dans la cour dite des passants permettant ainsi de placer le tour sur la rue Porte Madeleine en application de la décision de préfet de 1837. [11] Le tour ouvrait dans le dortoir. [12] En janvier 1850, la commission administrative demanda au préfet « que le tour destiné à recevoir les enfans trouvés soit désormais fermé de l’extérieur, de manière que toute personne qui voudra exposer un enfant nouveau-né soit obligé d’avertir la personne de garde d’un coup de sonnette. »[13] Cette demande fut approuvée et mise à exécution en février de la même année.

La fermeture du tour orléanais.

Après la fermeture du tour de Montargis, il ne restait plus dans le département que celui d’Orléans, d’ailleurs aussi utilisé par les habitants des départements limitrophes. Dès 1839, des débats récurrents eurent lieu, en particulier au Conseil général, pour décider de son maintien ou non. Il faudra près de 18 ans pour qu’une décision soit prise.  De fait, le tour d’Orléans fut parmi les derniers supprimés en France.

Le 12 janvier 1857, le préfet Boselli prenait, suite à la délibération du Conseil général en date du 29 août 1856 un arrêté ordonnant la fermeture du tour. Dans la circulaire qu’il adressait aux sous-préfets et aux maires, il précisait les raisons ayant motivé cette décision. La première avait pour objet de réduire « dans de plus étroites limites des dépenses dont l’exagération dans le département appelait une réforme ». La seconde raison résidait dans la volonté de  réduire « la mortalité effrayante qui frappe les enfans élevés par les Hospices ; elle est de 50 pour %, dix fois plus considérable que chez ceux qui sont temporairement secourus et laissés aux soins de leurs mères ».

Cet arrêté fut imprimé et affiché dans divers endroits du Loiret. L’article 1er annonçait la suppression du tour au 1 er février 1857 et son remplacement par un bureau d’admission.

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A.M.O 3 Q 1 15Fi 1905 1857

Le bureau d’admission.[14]

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Édouard Gelhay (1856-1939), Aux enfants assistés, L’abandon, 1886, huile sur toile, musée d’Art et d’Archéologie de Senlis. https://musees.ville-senlis.fr

Le bureau chargé d’examiner les admissions se composait du membre de la commission administrative en charge de la tutelle des enfants assistés, il en assurait la présidence. Lui était adjoint l’inspecteur du service des enfants trouvés et abandonnés et un troisième membre désigné par le préfet. Un employé se chargeait des écritures administratives. Le bureau proposait l’admission au préfet qui statuait. Le bureau était ouvert de 9 heures du matin à 4 heures du soir. Il en était fini des expositions nocturnes. Si l’anonymat disparaissait « La discrétion la plus absolue est imposée au membre du bureau et à l’employé qui est adjoint. »

Conséquences de la fermeture du tour.

Les données dont nous faisons état proviennent du mémoire de maîtrise de Caroline Tourette déposé aux archives départementales du Loiret intitulé : Les enfants assistés du Loiret sous le Second Empire[15]. Son étude prend la suite de la nôtre.

La suppression du tour fut suivie d’une diminution spectaculaire du nombre des abandons. Les administrateurs constatèrent que la suppression du tour a « puissamment contribué à la diminution du nombre d’abandonné ». [16] Si la chute du nombre des enfants abandonnés fut réelle, elle n’eut pas un effet immédiat sur le nombre d’enfants présents du fait du cumul des années précédentes. [17]

Après la fermeture du tour, le service des enfants trouvés, abandonnés continua de fonctionner dans les bâtiments qui lui avaient été alloués en 1839.

La crèche des filles prit le nom de salle Sainte Anne, celle des garçons celui de l’Enfant-Jésus.

Les garçons étaient logés dans la pension Ernest Roux dénommée alors l’Enfant Jésus.
Les filles étaient hébergées dans un des bâtiments de la cour des femmes, puis à Sainte-Anne.

Bureau d’accueil des enfants assistés

Sur la photographie ci-dessous, on peut lire au-dessus de la petite porte « ENFANT ASSISTES » nouvelle appellation pour désigner ces enfants depuis la loi du 27 juin 1904.[18] Le chanoine Louis Gaillard, éminent historien, indiquait qu’elle permettait « d’entrer dans la cour Sainte-Anne appelée autrefois cour des enfants abandonnés. » [19]. Cette porte exista jusqu’en mai 1968.

(c) Collection de l’Association des Amis du Patrimoine Hospitalier d’Orléans

D’une date qui nous est inconnue jusqu’ au 1er février 1857, des milliers d’enfants furent déposés dans le tour d’abandon. Si son remplacement par le bureau d’admission rendit probablement moins brutales les conditions d’accueil, la séparation n’en était pas moins traumatisante surtout pour les enfants un peu âgés.

Nathalie Dejouy, Jean-François Luce.

Consulter une version plus complète de cette étude en ligne sur le blog de Nathalie Dejouy à l’adresse suivante : http://etudehistenfance.canalblog.com/

(c) APHO / 1er mars 2023.


[1] Lallemand Léon, Histoire des enfants abandonnés et délaissés : études sur la protection de l’enfance aux diverses époques de la civilisation. Paris 1885 p. 237  https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81417p.texteImage

[2] En 1811, 77 départements avaient ouvert un tour, pour un total de 250. Leclerc Julien. Étude sur le tour des enfants trouvés. Éditions de la Société des Amis du Musée, des Archives et de la Bibliothèque de Dreux. Firmin-Didot Mesnil-sur-l’Estrée. 2011, p.40.

[3] Entre 1813-1823, 9 fermetures eurent lieu, puis 35 entre 1823 -1834, 25 en 1835, 32 en 1836 et 16 en 1837. Lallemand Léon. Op. cit., p.274 et 276

[4] « … mis en service en 1812, [il] cessa son activité en 1837, et reçut en tout près de 500 enfants. »   https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00097099»

[5] Il semble bien qu’il n’en ait pas existé à Pithiviers où alors très brièvement.

[6] A.D 45 589 O-SUPPL 3Q/1 lettre du sous-préfet de de Gien au maire de Saint-Aignan-le-Jaillard 30/9/1832.

[7] A.D 45 3 L1 Rapport moral de la commission administrative de l’hôpital général de 1839.

[8] A.D 45 2 J 1871 Fond Jarry : Orléans, Hôpital général (1672-1777).

[9] A.D 45 1 L 23 Registre des délibérations de la commission administrative de l’hôpital général 24/10/1837

[10] A.D 45 2 L 8 Registre de correspondance active de la commission administrative de l’hôpital général 28/10/1837

[11] AD 45 1 L 23 Registre des délibérations de la commission administrative de l’hôpital général d’Orléans 14/9/1839.

[12] AD 45 3 L1 rapport moral de 1839. Op.cit.

[13] AD 45 1 L 26 Registre des délibérations de la commission administre de l’hôpital général d’Orléans 6/2/1850.

[14] Rédigé à partir de A.M.O C 670 Recueil des actes administratifs du Loiret, n°2 1857.

[15] Tourette Caroline, Les enfants assistés du Loiret sous le second Empire. Orléans 1994 A.D 45 BH M/2391

[16] Ibid., p 39.

[17] Ibid.

[18] Cette loi supprima officiellement les tours et institua un bureau des abandons dans chaque département. 

[19] Écrit de l’Abbé Louis Gaillard- Archives hospitalières.