Clovis Vincent

Fig. 1 Clovis VINCENT- Paris

Né à Ingré le 29 septembre 1879, de parents médecins, Clovis Vincent fit ses études au lycée d’Orléans, puis sa médecine à Paris ou il a réussi le concours de l’internat des hôpitaux en 1909. Elève du neurologue Joseph Babinski, lui même disciple de Jean-Martin Charcot, Clovis Vincent devient médecin des hôpitaux.

En août 1914, à 35 ans lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il est médecin aide-major de 2e classe dans un corps de brancardier divisionnaire affecté au 46e régiment d’infanterie. Fin février 1915, il participe à la bataille de Vauquois. « Officier admirable et admiré de tous », Il reçoit la Légion d’honneur à titre militaire et la médaille militaire en 1915.

Dans ce conflit, nombreux furent les soldats projetés par le souffle de la bombe puis ensevelis dans des positions inimaginables qui, une fois dégagés, se retrouvèrent figés dans d’étranges postures, plicaturés, tordus, les membres déformés, sourds, muets…avec un examen clinique et radio (de l’époque…) normal. Ces malheureux condamnés au lit pour la plupart étaient, en réalité atteint de stress post traumatiques sévères et finirent par s’éteindre en cachexie après la guerre. Ceux que l’on dénommait les pithiatiques, dans l’horreur du quotidien, étaient déclarés « suggestionnés » voire simulateurs, « tir au flanc ». En temps de guerre la peine était la cour martiale…

Fig. 2 : edit. Castermann 2009 : putain de guerre 1914-1918 Verney, Tardi

Redoutant d’être accusé d’encourager les « repères d’embusqués » le corps médical se devait de séparer les simulateurs des combattants réellement traumatisés, il se montra dur à l’égard de ces pauvres suppliciés oubliés de la grande guerre. Le neurologue Clovis Vincent mais aussi Gustave Roussy  futur humaniste de la croisade contre le cancer, et beaucoup d’autres eurent recours aux chocs électriques, ou torpillage (du nom des bombes torpilles).  Cette méthode considérée comme salvatrice dans quelques cas, provoque aussi les protestations de certains troupiers et aboutira au renvoi de Clovis Vincent à Tours dans un hôpital de l’arrière. Comment des médecins ont-ils pu en arriver là…Cette guerre, véritable boucherie, engendre ses propres aberrations, le pithiatique ne faisait-il pas figure de profiteur  qui refuse de repartir au front ?

Depuis Charcot en 1870 la neurologie française repose sur l’idée que tout désordre comportemental a un substratum anatomique et que toute lésion anatomique se manifeste par des troubles analysables par l’examen clinique ouvrant ainsi la voie à la neurochirurgie française. Au lendemain de la guerre, le docteur Vincent franchit le pas qui sépare la neurologie de la neurochirurgie et commence une nouvelle carrière qui lui vaudra son universelle renommée.  Il se rend aux Etats Unis pour s’informer des méthodes du pape de la neurochirurgie mondiale : le professeur Harvey Cushing du Peter Bent Brigham Hospital de Boston. Dans la grande tradition chirurgicale française, il y montre son goût pour « la technique et les réalisations manuelles soignées » et devient bientôt un spécialiste unanimement reconnu de l’exérèse des tumeurs hypophysaires et autres méningiomes.

A son retour il fut nommé en 1921 chef du premier Service de neurochirurgie fondé à son intention par le conseil municipal de Paris.  Le professeur Clovis Vincent tente à Paris une intervention chirurgicale sur le cerveau de Maurice Ravel dans l’hypothèse d’une atteinte tumorale. Le compositeur se réveilla un court moment après l’intervention, puis plongea définitivement dans le coma.

En 1938 Clovis Vincent est nommé à la chaire de Neurochirurgie, chaire crée également à son intention par la fondation Rockefeller. Sa dextérité lui vaut l’admiration de Cushing qui, lors d’une visite à Paris, aurait déclaré au doyen de la Faculté de médecine « …avoir vu opérer le meilleur neurochirurgien du monde ». Cette appréciation est partagée par la Fondation Rockefeller qui permit à Clovis Vincent de créer en 1933 le Centre neurochirurgical où l’on étudie la physiologie des lobes frontaux du cerveau,

Le 14 juin 1940, lors de l’entrée des troupes allemandes dans Paris, tandis que son ancien collaborateur Thierry de Martel se suicide, « il descend dans la rue le fusil à la main. » À partir de 1942, avec Robert Debré et Paul Milliez, il collabore à la mise en place du Comité médical de la Résistance (CMR)  qui sera présidé par le professeur Louis Pasteur Vallery-Radot

Quelques étapes capitales de sa carrière de neurochirurgien :

– Ses études sur les arachnoïdites optochiasmatiques,  sur le traitement des abcès du cerveau alors très courants et gravissimes, dont il préconise l’ablation en bloc comme une tumeur et sans drainage. Cette technique chirurgicale très audacieuse pour l’époque,  évitait de redoutables disséminations bactériennes.

– Il prône le traitement par électrocoagulation des tuberculomes du cervelet.

– Son œuvre maitresse est le traitement chirurgical des traumatismes crâniens. Clovis Vincent fut le premier à préconiser en place des gestes d’explorations larges et très mutilantes alors pratiqués, le simple trou de trépan explorateur, ce qui permet dès lors, de limiter le geste au nécessaire. Cette initiative reste  un apport capital dans la prise en charge des traumatismes crâniens.

–  Clovis Vincent a également travaillé sur les hémorragies méningées au cours des angiomatoses, sur l’œdème cérébral secondaire aux tumeurs cérébrales et aux traumatismes cérébraux. On lui doit une magistrale étude sur l’engagement du lobe temporal dans le foramen ovale, complication dont il fut  le premier à décrire les manifestations cliniques, le danger et les traitements.

Source

  • Le torpillage des poilus par Clovis Vincent : Pr POIRIER
  • Des suppliciés oubliés de la Grande Guerre : les pithiatiques  : Pierre DARMON : histoire économie et société/2001/20-1/p.49-64.

© Denis Dauphin Médecin honoraire CHRO