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Jacques Guillemeau

Jacques GUILLEMEAU (1549 Orléans – 1613 Paris)

Embaumeur puis Chirurgien de quatre Rois

D’après l’ouvrage du Docteur Pierre DUBARD, biographe du médecin royal Jacques Guillemeau.

Par Denis DAUPHIN médecin honoraire du Centre hospitalier régional d’Orléans et vice-président de l’ APHO

In mémoriam/ A la mémoire de Pierre DUBARD, décédé le 15 juillet 2014 : Pierre Dubard fit ces études de médecine à Dijon, installé comme ORL libéral à Orléans il exerça aussi sa spécialité au Centre hospitalier régional d’Orléans comme attaché. Membre de la Société d’histoire de la médecine de Paris, connu comme le biographe de Jacques Guillemeau .

Enfance et formation à Orléans (1549-1569)

Qui connait aujourd’hui le plus grand des chirurgiens français du XVIème siècle ? Un des plus fameux chirurgiens français et en même temps l’un des plus méconnus.

Jacques GUILLEMEAU, né en 05 septembre 1549 (Paroisse Saint-Paul, Orléans), est issu d’une famille de chirurgiens de l’Hôtel-Dieu d’Orléans,  d’un père chirurgien du roi, et d’une mère elle aussi probablement issue d’une famille de chirurgiens : Jacques avait deux frères : Jean, dont on ne retrouve pas de trace dans l’histoire locale et Ascanius qui fut « marchand apothicaire et espicier bourgeois de Paris ».

Fig.1: Portrait de Jacques Guillemeau, extrait de « Table anatomique, au roy, par Jac. Guillemeau d’Orléans, chirurgien du roy et juré a Paris »  Paris, chez Jean Charron 1586.

Son oncle Laurent faisait parti en 1661 des 17 chirurgiens recensés d’Orléans, ville dont il reçu « 18 livres tournoys pour venir couper 18 membres dans la maison Dieu et avoir fourni les onguents à faire guérir un petit enfant de l’Hôtel Dieu».

Son père, Jacques également, réside à Orléans, né vers 1510 et mort à Orléans en 1569 à l’âge de 59 ans. Il initie son fils aux rudiments de la chirurgie. Il est « Chirurgien du roi », auprès des rois Henri II, François II et Charles IX.

Fig2: Hôtel-Dieu d’Orléans

Un disciple puis un assistant d’Ambroise Paré (1569-1589)

Jacques fait d’excellentes études classiques et joint à la connaissance des belles lettres celle des langues anciennes. Au décès de son père, il quitte Orléans, et fait ses études de médecine à Paris. Il loge chez Ambroise Paré, père de la chirurgie moderne, chirurgien du roi « et des champs de bataille » en devient l’élève préféré, puis le disciple et assistant. II restera au total huit ans chez son maître. Toute sa vie et son œuvre seront imprégnées par la forte personnalité de Paré.

Fig. 3 : Ambroise Paré (1510-1590) est le chirurgien des champs de bataille, le père de la chirurgie moderne et l’inventeur de nombreux instruments.
« Je le pansay, Dieu le guarist. » (Je le pansai, Dieu le guérit).
« Je ne vous demande pas si vous êtes catholique ou protestant, riche ou pauvre, mais : quel est votre mal ? ».

En 1570, Jacques Guillemeau part pour trois ans au célèbre Collège royal de médecine de Montpellier, où il étudie la chirurgie et l’obstétrique. Au cours de son séjour montpelliérain, il fait la connaissance de Laurent Joubert, dont il visite le fameux Cabinet d’histoire naturelle, et de Barthélémy Cabrol, premier démonstrateur d’anatomie de Montpellier. De retour à Paris, il se lie d’amitié avec un étudiant en médecine de son âge : Jean Heroard, qui deviendra grâce à lui médecin de Charles IX, et restera célèbre comme médecin de Louis XIII.

De 1576 à 1580, à sa propre demande il est enrôlé sous les bannières du roi d’Espagne, Philippe II, en guerre contre les Pays-Bas. Assistant notamment au siège meurtrier de Maastricht en 1579, il est confronté à la chirurgie de guerre… C’est l’occasion, pour lui, d’acquérir une expérience que l’exercice d’une seule chirurgie réglée ne saurait lui donner.

Fig.4 : André VESALE (1514-1564) peint par Pierre II Poncet, 1645 (dépôt du musée des Beaux-arts d’Orléans).
            Vésale né à Bruxelles est fondateur de l’anatomie et de la médecine moderne. Un des plus grands anatomistes de la renaissance, il est un  maître pour Guillemeau qui lui affine très vite ses connaissances en travaillant sur le « De Humani Corporis  fabrica» paru plus tôt, en 1543.

Profitant d’une « permission », il se marie à Orléans, en 1577, juste avant d’être nommé chirurgien du roi de France, Henri III (1551-1589). Revenu chez Paré, il travaille à l’Hôtel-Dieu de Paris, suit les leçons de Germain Courtin dont il reprendra certaines dans ses Œuvres de chirurgie. En 1582, il aide Jean Hautin à traduire les œuvres de Paré en latin.

Chirurgien embaumeur du roi Charles IX

Fig. 5 : Charles IX, est mort en 1574 de tuberculose. « Charles neuvième, pour l’ouverture et embaumement duquel je fus commandé par Monsieur de Mazilles son premier Médecin, de l’ouvrir, en la place de feu Monsieur Paré, son premier chirurgien, mon Maître ».

En 1574, alors qu’il reprend ses activités chirurgicales, il sort de l’anonymat en pratiquant, à 26 ans, à la demande de ses confrères, conscients de ses excellentes qualités d’anatomiste, l’autopsie de Charles IX, décédé à 23 ans, à Vincennes dans la nuit du 29 au 30 mai. Le rapport de l’ouverture du corps de Charles IX a été conservé et édité dans les Œuvres de chirurgie de Jacques Guillemeau (1550-1613) dans lequel il nomme les médecins « qui assistèrent : Mazille, Vaterre, Alexis Gaudin, Vigor, Lefèvre, Saint Pons, Pietre, Brigard, Lafille, Duret » et les chirurgiens « qui ouvrirent : Paré, d’Amboise, Du Bois, Portail, Eustache, Dioneau, Lambert, Cointret, Guillemeau. »

En réalité Guillemeau a remplacé Paré au dernier moment et complète cette étude par un court Traité d’embaumement qui décrit très précisément le rituel qui entoure la mort des rois :

Chirurgien anatomiste du roi Henri III

Fig.6 : Portrait représentant Henri III au début de son règne, d’après une œuvre de Jean Decourt (Le tableau est aujourd’hui conservé dans les collections du Kunsthistorisches museum de Vienne ; il faisait probablement partie de la galerie de portraits de l’archiduc Ferdinand. Ce prince de la maison des Habsbourg, amateur d’art et contemporain d’Henri III avait constitué une importante collection de portraits d’hommes et de femmes illustres de son temps, qui existe encore aujourd’hui.

Guillemeau n’a pas participé directement à l’autopsie de Henri III (semble-t-il, retenu à Paris par les ligueurs) mais il en fit le rapport complet. Avec la mort du roi, assassiné à Saint-Cloud, en 1589 par un moine dominicain, Jacques Clément, s’éteint la dynastie des Valois, et l’émergence d’une nouvelle famille régnante.

Chirurgien anatomiste du roi Henri IV

Fig.7 : Henri IV, assassiné sous le deuxième coup de couteau de Ravaillac, avec perforation du poumon gauche puis du tronc de l’artère pulmonaire. C’est le premier roi de France à avoir sa photographie : son visage a été reconstitué à partir des travaux menés par l’équipe du légiste Philippe Charlier. (c) Afp

Chirurgien du roi Louis XIII

Fig.8: Louis XIII

Au décès d’Henri IV, Jacques Guillemeau est reconduit dans sa charge auprès du nouveau souverain, Louis XIII, il est élevé à la dignité de prévôt du Collège de Paris, titre qu’il garde jusqu’à son décès.

Quelques étapes capitales de sa carrière de chirurgien, anatomiste:

Fig.9 : « des tables anatomiques » qui paraissent en 1586, Guillemeau  décrit avec rigueur ces  tables qui paraissent en 1586. En chirurgien curieux et dissecteur expert, il écrit les tables anatomiques et les illustre de planches copiées de Vésale et de Valverde

Guillemeau décrit avec rigueur « des tables anatomiques » qui paraissent en 1586, en chirurgien curieux et dissecteur expert, il écrit les tables anatomiques et les illustre de planches copiées de Vésale et de Valverde

En 1585, Il publie un traité sur les maladies de l’œil, qui aura un succès considérable et sera traduit en anglais, allemand et hollandais pendant plus d’un siècle.

Confortablement installé rue des Archives à partir de 1597, il devient une personnalité chirurgicale très appréciée de la maison royale et sa clientèle personnelle lui apporte une confortable aisance financière. il y poursuivra la rédaction de nombreuses œuvres, Celles-ci sont rédigées en français, et non en latin, sur des sujets inédits d’obstétrique, de pédiatrie et de chirurgie, qui inspireront avec succès les praticiens plusieurs siècles plus tard ! Ces publications sont faites dans un souci pédagogique de clarté et de précision. En outre, elles abordent des sujets inédits, notamment en matière d’obstétrique et de pédiatrie et proposent des techniques chirurgicales plutôt innovantes,

Après avoir fait une première synthèse de ses œuvres, il publie son meilleur livre en 1609 : De l’heureux accouchement des femmes, dans lequel il explique pour la première fois la méthode d’accouchement forcé par version podalique dans les cas d’urgence vitale pour la femme ou l’enfant. Il a ainsi sauvé la propre fille de Paré. Avec Paré il participe aux premières tentatives de césarienne sur la femme vivante, mais après quelques échecs ne la préconise qu’immédiatement après son décès pour sauver l’enfant.


Fig.10: « L’heureux accouchement des femmes » 1609, dans cet ouvrage  Guillemeau décrit une conception parfaitement moderne du rôle des sages femmes et des médecins en obstétrique

Il complète ce traité par un autre de néonatalogie et de pédiatrie. « De la nourriture et gouvernement des enfants » 1609.


Fig. 11 : « De la nourriture et gouvernement des enfants » Guillemeau traite ici, d’une connaissance inédite à cette époque : la néonatalogie et la pédiatrie.

Non seulement il avait une parfaite connaissance de l’anatomie et de la pathologie, mais aussi il savait diagnostiquer les pathologies en recherchant la cause et le siège de la lésion et en se libérant du poids de la tradition et du dogme. A la fin des guerres de religion, en 1612 il édite son Traité de chirurgie, accompagné d’un recueil d’instruments nécessaires au chirurgien. Il reprend la pratique d’Ambroise Paré, mais l’exprime de manière plus rigoureuse et pédagogique.

Fig. 12: Les œuvres de chirurgie, son œuvre majeure en 1612, fait de Guillemeau un auteur moderne, proposant des techniques de chirurgie encore couramment utilisées de nos jours.

Il en perfectionne plusieurs procédés, entre autres par des dessins explicatifs : la dilatation de la plaie pour l’extraction de projectiles, et la ligature de l’artère dans les cas d’anévrisme, la ponction d’ascite, il améliore le système de sécurité du trépan.

Il se distingue aussi en stomatologie en décrivant les premières prothèses et plombages dentaires en matériaux organiques.

 Fig. 13: Les œuvres de chirurgie,1612, portraits et figures (extrait)

Conclusion

Jacques Guillemeau est homme de la Renaissance, comme VÉSALE l’anatomiste fondateur, et Ambroise PARÉ chirurgien des champs de batailles.

Pour ces hommes, avec Copernic, l’homme n’est plus le centre de l’univers : Après un long enlisement Moyenâgeux des pensées et des Dogmes, l’esprit se libère il autorise l’observation et les anticipations. En Arts et en lettres, on n’évoque plus les mythes ou les Dieux. En médecine, la rationalité s’installe comme la démarche scientifique, mais cette démarche n’était pas sans danger, car si la première pierre de cet édifice renaissant est l’anatomie, et plus particulièrement la dissection, cette science était risquée de procès en sorcellerie. Ambroise Paré ose braver les interdits religieux et pratique des dissections et ce n’est pas un hasard si Vésale s’est installé à Paris prés du gibet de Montfaucon.

Célèbre dans les pays anglo-saxons par de nombreuses traductions Guillemeau était l’un de ces esprits clairvoyants et humanistes, qui ont porté la chirurgie, l’obstétrique et la pédiatrie aux temps de la modernité.

Son père était chirurgien de trois rois Henri II, François II et Charles IX,

Jacques Guillemeau devint Anatomiste embaumeur de Charles IX, puis chirurgien des trois suivants : Henri III, Henri IV, Louis XIII. A sa mort survenue le 1er mars 1613 à 63 ans, il laisse ses fils avec des situations enviables : l’un, Jean, secrétaire du roi deviendra maître d’hôtel du roi et sera anobli, l’autre, Charles, le remplacera comme chirurgien ordinaire du roi Louis XIII.

(c) Dr Denis DAUPHIN/APHO/Juillet 2021

  1. La vie et l’œuvre de Jacques Guillemeau chirurgien des rois Henri III, Henri IV et Louis XIII, (Orléans 1549-Paris 1613), Pierre Dubard 2010 (exemplaires déposés à la BIUM, à l’Académie de médecine et de chirurgie Paris).
  2. Article La vie et l’œuvre de Jacques Guillemeau chirurgien des rois Henri III, Henri IV et Louis XIII paru dans « reflets du Loiret », Dr Pierre Dubard biographe de jacques Guillemain magazine du Conseil Général de janvier/février 2010
  3. La Vie et l’œuvre de deux chirurgiens : Jacques Guillemeau et Charles Guillemeau, thèse de médecine 1993 de François Poulain, Montpellier. (Prix de thèse de la Société française d’histoire de médecine 1993.)
  4. Jacques Guillemeau, Les Œuvres De Chirurgie, Rouen, 1649, chez Jean Viret, François Vaultier, Clement, Malassis et Jacques Besonge
  5. Certitudes et incertitudes autour de la mort de Charles IX. Enquête sur l’autopsie d’un Roi, de Jacqueline Vons, Pauline Saint-Martin Paris, Article inédit publié en ligne le 2 janvier 2009 (http://cour-de-france.fr/article699.html)
  6. Rapport d’autopsie du roi Henri III par le chirurgien Jacques Guillemeau, Jacqueline Vons éd. [De l’imprimerie de Pierre Maille], p. 857 [exemplaire consulté : BU Médecine de l’Université François-Rabelais, Tours].
  7. « La mort du roi Henri IV (14 mai 1610). Analyse du compte rendu d’autopsie de Jacques Guillemeau », Le Floch-Prigent, Patrice / Bonnichon, Philippe / Pariente, Denis, dans Histoire des sciences médicales, 2009, 43 (2), p. 177-184.